L’autre jour, nous sommes allées à l’exposition « Gauguin l’Alchimiste » au Grand-Palais. Nous avons été accueillies par une magnifique projection numérique des œuvres de l’artiste sur la façade. Le numérique nous invitait à entrer au musée. Et il accompagnait également le contenu de l’exposition. En effet, entre la captation et modélisation 3D, l’hologramme de la Maison du Jouir, la VR, l’exposition déploie de grands outils de médiation, d’édition et de communication non seulement pour accompagner le spectateur pendant son aventure culturelle, mais pour lui permettre également de prolonger l’expérience grâce à l’application spécialement faite pour l’exposition, et au mini-film en 3D visible sur l’application Arte 360. Bien sûr, tout cela ne se fait pas comme ça.. Le projet de numérisation (de plus de 30 œuvres) a été financé par le programme Investissements d’Avenir culture de la Caisse des Dépôts et Consignations et du Ministère de la Culture. Le digital est partout, ma bonne dame ! Oui-oui, c’est désormais une tarte à la crème que d’annoncer cela avec un air de savant fou qui vient de découvrir l’électricité. Pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence : la culture ne peut plus désormais faire abstraction des nouvelles technologies. Pourquoi ? Comment ? Les horribles et méchants écrans vont-ils remplacer nos tableaux chéris ? Afin de ne pas céder au madame michutisme, j’ai décidé de rencontrer un spécialiste de la chose. Monsieur Gilles Duffau, chargé de projets e-culture à la Caisse des Dépôts, a ainsi très gentiment pris le temps d’éclairer notre lanterne. ARTE LAB : Pour commencer, comment arrive-t-on à être chargé de projet e-culture à la Caisse des Dépôts ? Quel a été votre parcours ? GILLES DUFFAU : J’ai commencé en 2004 à la Cinémathèque au moment de son installation au 51 rue de Bercy, anciennement l’American Center construit par Frank Gehry. J’ai accompagné le projet de création d’une véritable cité du cinéma. Il s’agissait de regrouper tout cela pour créer un pôle de mémoire cinématographique. Mon rôle se partageait en fonctions transversales : d’abord la coordination du déménagement du bâtiment du Palais de Chaillot vers Bercy, ainsi que l’aspect relations humaines puisqu’il était nécessaire de reconstituer de nouvelles équipes. Ma mission principale fut ensuite de travailler sur la fusion avec la Bibliothèque du Film, de créer un service de nouveaux médias sociaux, d’aménager le site internet, de mener à bien la politique de numérisation et enfin d’assurer la gestion du catalogue de films. Puis j’ai intégré le Centre Pompidou où j’assurais également la gestion du site internet et les réseaux sociaux. J’ai piloté le budget de numérisation des collections, permises par une subvention et un prêt de la Caisse des Dépôts. En effet en 2010 le Commissariat Général d’Investissement a créé le Programme Investissement d’Avenir et les numérisations des collections publiques. Ce programme comprend tout un axe commercial avec des prêts, la Caisse des Dépôts étant opérateur du programme avec BPI France. La Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais en a aussi bénéficié pour la numérisation 2D et 3D de ses collections. ARTE LAB : Pouvez-vous nous dire ce qu’est la e-culture et pourquoi investir dans des projets de patrimoine digital ? GILLES DUFFAU : : La e-culture, c’est très vaste ! Il s’agit d’identifier et regrouper des outils numériques qui permettent trois choses : rendre accessible, rendre consultable, sans oublier l’aspect promotion et diffusion. La e-culture rend accessible grâce à des bases de données et à l’indexation des informations, elle rend consultable grâce aux grandes politiques de numérisations et elle permet la diffusion et la promotion via les réseaux sociaux notamment. Tout cela permet une formidable « intéropérabilité » qui sert la diffusion des collections. Les données sont dans un format universel compréhensibles et exploitables par n’importe quelle machine ! Par exemple les œuvres numérisées du Centre Pompidou peuvent être très facilement exportées, comme à la RMN. L’interaction entre les bases de données permet de récupérer toutes les informations en masse. La e-culture est aussi bien-sûr un outil de développement de la médiation. Regardez les Google Art et les musées en ligne, les applications et tables numériques in situ dans les musées. Le Centre Pompidou est par exemple partenaire du portail Design, au même titre que le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne ou des musées des Arts Décoratifs de Paris et Bordeaux. Ce site (http://www.lescollectionsdesign.fr/) est en fait un regroupement de six institutions culturelles autour de l’association Videomuseum pour construire une base commune de leurs collections. Et tout cela bien-sûr en libre-accès sur Internet. Imaginez toutes les collections ainsi rendues accessibles à tous ! Cette médiation numérique permet de rendre accessible des rassemblements d’œuvres et d’affranchir le spectateur des barrières physiques et temporelles. Arty Lab : Le numérique est-il donc la forme de démocratisation de l’art et de la culture la plus aboutie ? Gilles Duffau : En tout cas, il permet une démocratisation de l’accès aux œuvres et aux informations, et un accès simplifié parce que centralisé. Mais ce qui est accessible n’est pas forcément accédé. Il est nécessaire d’accompagner la création d’outils numériques de la culture d’un véritable travail de promotion. ARTE LAB : Quel est le rôle de la Caisse des Dépôts dans cette culture ? Gilles Duffau : Elle est à la fois mécène, investisseur et actrice, en cela qu’elle crée des programmes pour l’innovation culturelle. Le Programme Investissement d’Avenir propose des appels à projets à manifestation d’intérêts, orientés patrimoine, culture et numérique. Il s’agit de développer des produits et services innovants pour le patrimoine. Pour ce faire nous rassemblons un ou plusieurs établissements publics, une ou plusieurs start-ups et une ou plusieurs entreprises ou groupe ayant les moyens financiers d’investir dans de nouveaux projets et de les industrialiser afin de leur assurer une rentabilité à court ou moyen terme. Ce programme vise à développer de nouveaux produits ou services pour valoriser la culture et le patrimoine et surtout permettre aux établissements publics qui sont face à des restrictions de subventions de développer des activités commerciales. Cela leur permet d’associer la valeur d’une marque à une activité commerciale sans dévoyer les valeurs et missions de l’institution et surtout de dégager des recettes propres pour un développement pérenne sur le long terme. Les grands établissements publics, en se confrontant à d’autres logiques d’entreprises comme celles des grands groupes ou des start-ups, sont alors en mesure d’enrichir leurs compétences et leurs savoir-faire. Il s’agit d’insuffler des initiatives privées dans des établissements publics. ARTE LAB : Dans quelle mesure selon vous le numérique concurrence-t-il l’œuvre et le rapport direct du spectateur à elle ? Gilles Duffau : Si l’on prend l’exemple du cinéma, les études montrent que les gens qui consomment beaucoup de cinéma sous forme numérique sont aussi ceux qui consomment beaucoup de cinéma disons traditionnel. Il en va de même pour la culture physique et la culture numérique. N’oublions jamais que la culture est quelque chose d’infini. Plus on s’en nourrit, plus on en veut ! La culture développe la curiosité : plus on en connait et plus on veut en savoir, c’est une matière infinie. Ainsi, même si le public a tendance à se spécialiser, on observe une augmentation de la fréquentation des lieux culturels. Et puis, il y a des créateurs partout ! Le numérique encore une fois permet de rendre accessible des choses qui ne le sont pas, ou plus (Comme l’exposition Sites Eternels de l’an dernier au Grand Palais qui reconstituait par le numérique des sites archéologiques disparus ou en danger, ndlr). Imaginez quelqu’un qui ne peut pas se déplacer, il pourra toujours admirer la Joconde depuis son salon, et en plus sans les appareils photos devant ! Le numérique complète et accompagne l’expérience du visiteur, mais il ne remplace rien. Quand le CD a été inventé, on pensait que cela tuerait les artistes. Eh bien ça a été le contraire et le disque a permis une meilleure diffusion et promotion des œuvres musicales. C’est le principe de la destruction créatrice de Schumpeter : il y a des bouleversements mais qui ne remettent pas en cause ce qui a été fait avant : tout comme le disque n’a pas tué les artistes, la télévision n’a pas tué le cinéma, la culture digitale ne tuera pas la culture traditionnelle à laquelle nous somme si attachés. Le numérique change l’expérience de la culture mais il ne l’annule pas, il y ajoute trois dimensions : il permet de la préparer, de la faire vivre et de la poursuivre une fois sorti du musée. "La question est désormais celle de savoir comment le numérique peut transformer le non public en public. Le permet-il ? " ARTE LAB : Comment voyez-vous l’avenir du numérique dans les institutions culturelles ? Gilles Duffau : La question est désormais celle de savoir comment le numérique peut transformer le non public en public. Le permet-il ? Nous n’avons pas encore de mesures réelles. Si le numérique permet à beaucoup d’institutions de mieux informer leurs publics fidèles, il doit faire partie d’une stratégie globale, il ne peut pas résoudre le problème à lui tout seul. Agathe Perreau
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