![]() "Aller à l’exposition n’est pas seulement entrer dans un univers, mais voyager dans une pluralité de mondes." Après les rétrospectives Patrick Demarchelier au Petit Palais, Raymond Depardon, Seydou Keita ou encore Helmut Newton en face, le Grand Palais accueille cette fois en son sein celle d’Irving Penn. Qu’aura-t-elle de plus que les autres me direz-vous ? Encore un photographe au musée ! S’en deviendrait lassant… Et pourtant aller à l’exposition n’est pas seulement entrer dans un univers, mais voyager dans une pluralité de mondes. Tout d’abord, si cette exposition a pu nous être présentée aujourd’hui, c’est grâce à un don de la Fondation Irving Penn au MET Museum de New York de 1080 photographies. Cela explique d’emblée le caractère exceptionnel de cette exposition qui s’étend sur 1 300 m2, et la diversité des thèmes et sujets de la représentation photographique de Penn, dont la carrière foisonnante ne saurait être réduite à quelques icônes connues de tous. Il est alors intéressant de passer les portes du musée et de finalement remarquer que seulement une (grande, je vous l’accorde) salle est consacrée au travail de mode du photographe iconique de Vogue… Qui aurait cru que Penn, entre deux robes Balenciaga, eût capturé les corps ronds de femmes anonymes évoquant les marbres de Rodin ou les vénus paléolithiques ; les corps et visages peints de tribus du Bénin ou de Nouvelle-Guinée ou encore des « scènes de vie » où les héros sont des bouchers, charcutiers et autres ramoneurs aperçus au quotidien ? L’on ne peut que s’incliner devant la richesse d’une telle exposition, et sa scénographie qui nous fait évoluer entre ces mondes de façon fluide et cohérente. On s’aperçoit aussi très vite que Penn est le photographe de la simplicité et que sous son objectif, « less is more » n’est pas qu’une publicité mensongère. Si l’on en connaît certains, les séries de portraits de Penn sont un temps fort de l’exposition à eux seuls. Le spectateur est en effet mis face à la personne et non à la célébrité photographiée, au vêtement et non au costume, et l’on devine que ces regards intenses, ces poses naturelles sont le fruit d’un travail d’observation et de rapprochement au plus près du sujet. Et pourtant, Irving Penn est connu comme un photographe de mode, des plus belles femmes du monde et de robes haute couture éblouissantes. Eh bien voilà ce qu’il nous dit, Penn, dans cette exposition : la beauté n’est pas un travestissement, la mode ne cache pas la personne mais la révèle en soulignant ce qu’il faut. En gros, utilisez l’artifice mais ne devenez pas artificieux ! Toute la beauté de la photo réside dans la concision graphique des formes et non pas dans la célébrité du sujet portraituré. Jusque-là, la photo reste de la photo, et de la belle, nous sommes en terrain connu, tout va bien messieurs-dames vous pouvez respirer. Et pourtant, l’on se rend compte que le photographe a plus maille (enfin, satin, soie et cachemire) à partir avec d’autres arts que la seule photographie
Dans cette exposition, place est faite à l’imaginaire du spectateur avec certaines séries de photographies à forte charge poétique. Par exemple Penn peut prendre comme sujet des mégots de cigarette, matière peu noble et ramassée à même les trottoirs (comme le montre la mise en abîme au milieu du parcours de l’expo avec la photo du photographe en train de photographier ses mégots dans les rues américaines), mais sublimée par le prisme de l’appareil. Il s’agit certes d’une une mise en scène, mais qui fait surgir des mégots des formes nouvelles et oniriques, un peu comme dans l’art abstrait. Ici le spectateur est témoin et acteur du passage de l’image brute au pouvoir de l’imaginaire. Penn est réellement un photographe matiériste jouant avec les formes et les volumes jusqu’à les exacerber et les excéder. La matière morte du mégot est sublimée par le photographe pour ouvrir les portes du monde des formes et de la puissance imaginative. Au passage, faire entrer des mégots géants et encadrés dans une institution respectable (voire sacrosainte) mais surtout expressément non-fumeurs est d’une ironie délicieuse. Penn nous apprend donc encore ici à regarder, et à questionner la nature même du Beau et de l’œuvre d’art… Il est en cela un héritier des poètes romantiques qui depuis Baudelaire nous rappellent que le Beau peut (doit ?) être « toujours bizarre ». "Penn nous apprend donc encore ici à regarder, et à questionner la nature même du Beau et de l’œuvre d’art…"
Pour conclure, allez, courez, volez apprécier le travail de ce « créateur de mondes » ( Jérôme Neutres, directeur de la stratégie et du développement de la RMN- Grand Palais) qui réconcilie la photographie avec la peinture, la sculpture et la poésie. Les commentaires sont fermés.
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